DINGHY 12"
Dessiné en 1912 par un architecte amateur presque inconnu George Cockshott qui remporta un concours organisé par la toute nouvelle « Boat Racing Association », le dinghy vieux d’un siècle est riche d’une déjà longue histoire… Il fut le premier « one design yacht tender » Le cahier des charges précisait en effet « un voilier au gréement simple, de construction économique, permettant tout à la fois la régate, la promenade à la voile ou à l’aviron et pouvant également être utilisé comme annexe de grand yacht ». Le « A Class one design dinghy » était né et bien que n’ayant pas des performances exceptionnelles, il allait connaître un extraordinaire développement et devenir, le premier monotype international de l’histoire du yachting. Il prendrait le patronyme de « 12-Footer » ou « 12 pieds BRA » avant de devenir le « dinghy international de 12 pieds », appellation toujours d’actualité !
Un succès foudroyant, le 12 pieds devient série internationale
A l’époque le petit monde du yachting britannique considérait avec une certaine méfiance toute embarcation à dérive, ce qui explique sans doute que globalement, le succès que connut lors de son lancement, le dinghy de 12’ en Angleterre, sa patrie, fut beaucoup moins rapide qu’ailleurs en Europe.. Pourtant les tout premiers dinghies jamais construits furent commandés au chantier Roberts de Chester et chez Sheherd à Bowness qui lancèrent successivement huit unités dès l’année 1913. De vraies merveilles, bordages en spruce, tableaux en acajou…à 25 livres l’unité !
La diffusion du 12 pieds en Suisse, construit par les Chantiers Navals du Léman à Corsier-Port, en Belgique, en Allemagne, et particulièrement en Hollande dès l’année 1914 fut une réussite spectaculaire, au point qu’en 1919, la neutralité des Pays Bas pendant la guerre de 14-18 aidant, on comptait déjà dans ce pays pas moins de 180 bateaux. Les flottes actives de Belgique et de Hollande, organisaient des régates interclubs dont certaines comme les rencontres entre le Yacht club de Haarlem (Hollande) et le Royal Yacht club de Belgique à Anvers sont restées célèbres et se sont perpétuées pendant des décades. La série attirait alors les plus grands barreurs Belges et Hollandais comme le triple médaillé d’or olympique Léon Huybrechts ou l’autre célébrité Belge Frank Murdoch qui prit part en 1934 et 1938 à la coupe de l’América sur les deux Endeavour.
A cette époque, la majorité des compétions se courait sur de grands bateaux (8mJI, 6mJI) accessibles à quelques privilégiés et c’est pour changer cette situation et apporter un peu de démocratie dans un sport encore très élitiste que le dinghy de 12 pieds obtint le 24 octobre 1919 par un vote unanime des instances supérieures du yachting (IYRU), représentant 11 nations réunies à Londres, le statut de « série internationale ». Le 12-Footer devenait officiellement le Dinghy International de 12 pieds
Série Olympique
Lors des Jeux Olympiques d’Anvers qui furent en 1920 les premiers jeux de l’après guerre, le Dinghy devint « série olympique », mais ces jeux furent un fiasco. Courus sur le plan d’eau d’Ostende, on ne compta que 2 bateaux participants.
En France, malgré son statut de série internationale et de série Olympique, très peu d’intérêt s’était manifesté pour le dinghy de 12 pieds … La construction à clin, hormis les chantiers du Havre, ceux de Roscoff et quelques autres, n’était pas très répandue dans notre pays et il y avait de la concurrence ; le monotype d’Arcachon par exemple, série qui rassemblait un peu partout sur le littoral de jolies flottes : 15 bateaux à Saint Malo le 15 août 1920, 20 à Arcachon le même jour alors que les deux seules régates de l’année en dinghies de 12 pieds qui s’étaient courues le 20 mai à Nantes et le 5 août au Pouliguen avait rassemblé respectivement 4 et 2 dinghies !
La série perdit son statut olympique en 1924 pour le reconquérir en 1928 à l’occasion des Jeux d’Amsterdam où elle fut retenue comme monotype en solitaire. Ces jeux, furent courus sur le Zuiderzee et restent chers à la mémoire du yachting Français puisqu’ils consacrèrent la victoire devant les Néerlandais et les Suédois de Virginie Herriot sur le désormais célèbre 8mJI « Aile VI . Célèbres et mémorables aussi ces jeux qui virent lors du 1/4 de finale de l’épreuve d’aviron, le rameur Australien Henry Pearce s’arrêter pour laisser passer une famille de canards et cependant…gagner sa série ! La victoire échappa au barreur hollandais Willem de Vries Lentsch, victime d’un chavirage qui lui coûta la médaille espérée… Pour cette compétition, les participants naviguaient sur des coques fournies par l’organisation (le Royal Yacht-club des Pays-Bas), construites par Abeking & Ramussen selon les spécifications d’alors, c’est-à-dire en spruce avec tableau arrière en teck et identifiés H201 à H212, dont les numéros 202 et 208 existent encore et le 209 navigue en Belgique. Tous les concurrents avaient reçu une voile en coton d’Egypte…
En Italie, une popularité phénoménale
Lors de ces jeux d’Amsterdam, la remarquable et tout à fait inattendue sixième place d’un barreur Italien nommé Tito Nordio dans une série alors quasiment inconnue en Italie, allait propulser ce petit dinghy à clin « sous les feux de la rampe », et en quelques années, on assista à la création de flottes dans les principaux clubs nautiques du pays et à l’organisation de régates attirant toujours plus de barreurs renommés. En 1931, un premier championnat national réunissant une vingtaine de compétiteurs fut organisé par la Fédération Royale Italienne de Voile sur le plan d’eau de Zara et au cours des années trente, le dinghy de 12 pieds diffusé à des centaine d’exemplaires connut une popularité phénoménale, devenant pour des décennies le monotype le plus répandu en Italie… Jusqu’à la Marine Italienne qui en posséda une flotte réservée aux officiers pour leur formation ce qui leur permettait d’être présents aux régates les plus importantes !
Au nord comme au sud et jusqu’en Sicile, le dinghy alors à son apogée connut des années d’or… Le niveau élevé des compétitions qui dans l’immédiat après guerre attirait toujours les meilleurs barreurs suscita d’épiques empoignades au point qu’en Italie, certaines régates concentrèrent plus de public que les matches de football ! Enthousiasme contagieux conduisant à des lignes de départ où il n’était pas rare de voire s’aligner près de 100 bateaux ! Jusqu’aux Etats-Unis où vers les années 45-48 quelques poignées de dinghies de 12 pieds régatèrent assidûment, ainsi que le révèle plusieurs articles publiés dans « The Tech », le journal du Massachusetts Institute of Technology qui relate au moins deux régates « quadrangulaires », courues entre les universités de Harvard, Yale, le MIT et les US Coast Guards… En Europe, après les JO d’Amsterdam, la grande manifestation annuelle à laquelle participait le gratin des barreurs de 12 pieds était le rendez-vous annuel de la semaine de Kiel.
Au fil des ans et des compétitions nombreuses entre flottes principalement Belges, Hollandaises, Allemandes et Italiennes et avec l’arrivée de nouveautés techniques, la jauge évolua permettant un certain nombre d’innovations mais suscitant à chaque fois des débats passionnés. Il en fut ainsi en 1930 de l’éventualité de doter d’une ralingue acier le guindant de la voile, une telle nouveauté reléguant illico « au placard » les voiles dotées de ralingues textiles. L’association Hollandaise des 12’ « gardienne de la jauge » et confrontée en ces années à une diminution des constructions, veillait à prévenir tout dérapage susceptible d’augmenter les prix des 12’. Elle cherchait au contraire à spécialiser certains chantiers afin, d’obtenir une baisse des coûts soit par la construction en grandes séries, soit par la livraison de bateaux « à terminer » par l’acquéreur, notamment à vernir.
Les plus grands chantiers
Comment expliquer l’incroyable succès de ce petit bateau ? On peut sans doute l’attribuer à quatre qualités souvent antinomiques mais astucieusement rassemblées dans ce plan simple et intelligent : c’est à la fois une embarcation classique mais aussi sportive, permettant la promenade mais aussi la régate avec, par sa conception, ses formes, son dessin, son mode de construction, le choix des matériaux ; caractéristiques visiblement héritées de la « marine en bois » qui l’ancrent sans la moindre hésitation dans la tradition des anciens voiliers de travail dont il est issu… Sa relative grande largeur, 1m41 au maître bau et 1m26 à la flottaison, qui lui confère une bonne stabilité de formes et un franc bord généreux en font une coque capable de porter une voile de 9,29m2 soit une belle surface au regard d’une longueur plutôt modeste de 3m66 hors tout. En outre, c’est un bateau très vivant et extrêmement agréable à barrer.
Ce sont à n’en pas douter ces caractéristiques d’une construction classique et d’un aspect général soigné qui ont décidé les meilleurs chantiers à s’intéresser à sa construction. En Belgique, ce fut Annemans à Gand qui construisait en red cedar. En Hollande, l’un des tout premiers et incontestablement le plus prolifique fut le célèbre chantier W. de Vries Lentsch de Nieuwendam, dont le patron fondateur éponyme fut dans les années 20 quatre fois champion national. Un autre chantier tout aussi prolifique et célèbre qui livra, surtout avant-guerre à la fois le marché Hollandais et son propre pays fut Abeking & Rasmussen de Brême ses dinghies étaient réputés lourds et meilleurs dans la brise. En fait, les chantiers qui se sont intéressés à la construction du Dinghy de 12’ sont très nombreux et il serait fastidieux de le citer tous. Les plus réputés sont De Voogt à Haarlem, G. Deichmann à Hillegesberg, ainsi que Van der Meer à Oude Wetering et Schalk à Aalsmeer lesquels, aujourd’hui, restent les deux derniers chantiers à construire encore des dinghies de 12’. Mais le plus connu en France fut certainement E.G. van de Stadt de Zaandam, il construisit entre autres le Dinghy avec lequel le champion et voilier célèbre Dijkstra remporta le championnat national Hollandais en 1979. En Angleterre, ce furent les Chantiers Roberts de Chester et Shepherd de Bowness, ainsi que Morgan Giles & May Ltd de Southampton et en Italie Archetti e Figli ainsi que le toujours actif Léopoldo Colombo à Grandola…
Une jauge très stricte qui favorise le développement de la série
Ceci étant, le dinghy de 12 pieds, s’il est un canot, est aussi un vrai voilier. Doté d’une dérive pivotante et d’un gouvernail généreusement dimensionnés puisque que la première, en position basse conduit à un tirant d’eau de 0m95 et le second de 0m48 qui lui permettent avec le concours d’une voile au tiers astucieusement gréée de faire un excellent cap au près serré. Une voile au tiers, en effet, qui n’est pas crochée à un rocambeau, mais dont la vergue comporte, fixées de part et d’autre de son tiers, séparés de 30 à 40 centimètres environ, deux erses, la drisse passant dans la plus haute se croche par un nœud ou une manille dans la plus basse. Ce système laisse à la vergue la possibilité d’être positionnée indifféremment d’un bord ou de l’autre du mât, c’est-à-dire à son vent ou sous son vent. Par l’adjonction au bas de la vergue d’une balancine qu’on hâle au virement de bord on peut ainsi facilement toujours positionner la vergue sous le vent du mât et permettre un rendement optimum de la voile. Dans cette série la jauge est donc très stricte et ce sont les Hollandais qui, en la matière sont les « gardiens du temple ». Elle concerne la totalité du bateau et de ses « accessoires » et s’exerce
jusqu’au nom qui doit être peint en lettres dorées sur le tableau ! En publiant ces spécifications en 1913, le BRA se positionnait comme précurseur en la matière... Les spécifications des matériaux y étaient décrites avec une précision extrême… Tout est passé en revue, le bateau doit naviguer muni de deux avirons et deux dames de nage jaugés selon des standards très précis, jusqu’aux planchers qui sont d’un modèle parfaitement spécifié.
Le poids minimum de la coque seule était de 104 kilos à l’origine, mais désormais avec l’interdiction de l’utilisation du spruce, du red-cedar et de tous les résineux, au profit du seul acajou, il est, pour les nouveaux bateaux de 115 kilos coque nue et de 155 kilos, bateau complet, avec voiles et gréement en état de naviguer. Cette sévérité de la jauge peut sembler excessive mais elle a eu un incontestable aspect positif : permettre aux modèles anciens de rester compétitifs tant pour ce qui concerne leur valeur sur le marché de l’occasion que leurs qualités à la marche. On a vu ainsi aux Pays-Bas le fameux dinghy portant le numéro H31, qui était en cèdre avec tableau en teck construit en 1928 au chantier Baay à Loosdrecht pour J. J. Huybers qui fut deux fois champion national sur ce bateau en 1931 et 1932, gagner le championnat national en 1971, cette coque avait alors 43 ans…De tels exemples ne sont pas rares ; en 1984, c’était au tour du n° 259 construit en 1930, dans le même chantier, soit 54 ans après sa construction de remporter le championnat et le record a été battu en 2003 par le dinghy portant le numéro 350, construit en 1934 par E.G. van de Stadt ! Bien rares sont les séries où on peut voir tant de bateaux régater avec de tels écarts d’âge.
J’arrête là l’histoire des dinghies… Ayant eu mon premier dinghy à l’âge de 12 ans, j’en parle encore et pourrais encore en parler et écrire à son sujet de nombreuses pages.
Jacques Blanken